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Système participatif de garantie dans les labels du mouvement de l'agriculture biologique. Une réappropriation des communs intellectuels

Auteurs : S. Lemeilleur & G. Allaire

Année de publication :2018

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Lien du document : https://journals.openedition.org/economierurale/5813

Résumé : Nous considérons le contenu des labels relevant de l’agriculture biologique comme une ressource commune intellectuelle. La certification tierce partie privée et payante s’est imposée comme seul outil légal pour contrôler ces dispositifs et accéder à l’utilisation des labels devenus publics. Cette certification couteuse est à même d’exclure une partie des communautés à l’origine de la ressource et menace son renouvellement. Dans cet article, nous décrivons un mécanisme alternatif, celui des systèmes participatifs de garantie. En nous appuyant sur l’approche des communs d’Ostrom, nous analysons les conditions d’efficacité et de durabilité de ces systèmes, dont le développement participe à un mouvement de reconquête des communs.

Mots-clés : Label, certification, Système participatif de garantie, Agriculture Biologique, Communs

1. INTRODUCTION

Au niveau mondial, il existe différentes logiques dans les modalités de garantie et d’attribution des labels appartenant aux Mouvements de l’agriculture biologique (MAB). La plupart de ces labels – souvent publics – requièrent un système de certification par tierce partie privée et indépendante pour accorder le droit d’usage du label. Dans cet article, nous identifions un autre mode de garantie correspondant aux systèmes participatifs de garantie, formes associatives de gestion de labels collectifs. Nous cherchons à com- prendre les conditions de leur efficacité pour garantir le respect des engagements prônés dans ces labels.

Les labels des Mouvements de l’Agriculture Biologique (MAB) visent à établir et signaler des modes de production répondant aux principes de l’agriculture biologique (AB), notamment pour le respect de l’environnement. Cette qualité socio-environnementale est de plus en plus prisée par des consommateurs avertis, préoccupés par les effets de la globalisation sur les modes de production des produits alimentaires. Le terme label n’a pas de signification légale propre. Nous considérons un label comme un dispositif constitué de 3 éléments fondamentaux : 1) un référentiel, 2) un logo avec sa dénomination, et 3) un mécanisme de garantie. En 2017, La Fédération Internationale des Mouvements de l’Agriculture Biologique (IFOAM) [1] reconnait 48 référentiels différents relevant de l’AB dans le monde [IFOAM, 2017]. On y retrouve une visée commune guidée par des grands principes, mais une diversité dans la mise en œuvre. On distingue des labels gérés par des collectifs (groupes locaux et réseaux) et des labels publics dans de nombreux pays. Ces deux catégories reposent sur des logiques différentes qui s’opposent. Ce sont ces oppositions, en particulier sur les systèmes de garantie, qui motivent notre travail de recherche.

Tant que les labels des MAB étaient privés ou associatifs, la certification relevait d’une gestion interne collective [Sylvander, 1997]. Suite à la reconnaissance et à la réglementation de l’« Agriculture Biologique » dans la plupart des pays, l’appellation, tant dans le cadre du marché que celui des politiques publiques, est devenue réservée aux opérateurs certifiés par un tiers [Loconto et Fouilleux, 2014]. Or ce système de certification par tierce partie (CTP) tend à exclure une partie des producteurs des communautés d’origine dans l’incapacité de s’acquitter du coût nouveau d’accès ou refusant cette marchandisation de la garantie. En réaction à la généralisation de ce système, le développement des systèmes participatifs de garantie (SPG) est une opportunité pour ces derniers [Mundler et Bellon, 2011, Cuéllar-Padilla et Calle-Collado, 2011]. Nous y voyons un retour vers un principe de gestion commune de la ressource [Coriat, 2015] que constitue le label. Nous proposons de considérer les labels, au travers de leurs visées, de leurs référentiels et de leur notoriété, comme une ressource commune intellectuelle [Ostrom et Hess, 2007]. Cette approche permet de ne pas limiter le label à un « signe de qualité », mais de tenir compte du contexte dans lequel les producteurs qui valorisent cette ressource sont interdépendants. Ostrom a développé une méthode d’analyse institutionnelle [Ostrom, 2005], qui a permis de nombreux travaux sur les dynamiques institutionnelles autour de la distribution des ressources, quelle qu’en soit la nature. Nous retiendrons essentiellement pour notre analyse un ensemble de principes relatifs aux conditions de succès du gouvernement des communs [Ostrom, 1990]. Nous utiliserons cet ensemble comme une grille d’évaluation des SPG, du point de vue de leur efficacité et résilience. Nous comparons cinq labels associatifs recourant à un SPG reconnus par IFOAM. Les données ont été collectées soit au travers de la littérature grise soit lors d‘observations de terrain. Dans la partie suivante, nous revenons sur l’approche des communs dans la littérature en présentant notamment les développements récents sur les communs intellectuels. Dans une troisième partie, nous proposons de considérer les labels des MAB comme un système de ressources communes intellectuelles, et nous mettons en évidence des processus qui menacent cette ressource commune. Dans la quatrième partie, nous présentons les études de cas et la méthodologie ; dans une cinquième partie, les résultats de notre analyse de la gouvernance des SPG. Nous discutons enfin la nécessité d’une reconnaissance légale de ces formes de certification participative.

2. L’approche des ressources communes intellectuelles par la théorie des communs

2.1 Des ressources naturelles aux ressources intellectuelles

Le concept de commun a émergé pour définir des ressources partagées, gérées collectivement au travers d’un ensemble de règles et un régime de droits, par une communauté, dans le but d’exploiter ou valoriser cette ressource, tout en pérennisant sa reproduction sur le long terme [Ostrom, 1990]. Ce concept a initialement été formulé pour les ressources naturelles. Celles-ci se caractérisent par leur rivalité, car les unités du stock de ressource sont soustractibles, et par les difficultés d’exclure parmi ceux qui cherchent à prélever ces unités. La multiplicité des utilisateurs et de leurs intérêts génère des conflits qui peuvent affecter la durabilité de la ressource. Les ressources communes sont sujettes alors à un dilemme social, leur accaparement par quelques-uns pouvant conduire à leur épuisement. Elles peuvent également être dégradées par le type d’usage qui en est fait. La bonne gestion collective de ces ressources nécessite donc des règles d’accès et d’usage du système de ressources (niveau de prélèvement, moment ou durée d’usage, etc.), un mode de surveillance qui permet de parer au problème de passager clandestin (individu qui ne respecte pas les règles ou qui outrepasse ses droits) et une capacité collective à appréhender les problèmes (communication et coordination).

Le concept de commun a été étendu par la suite aux ressources intellectuelles : les communs informationnels et de la connaissance [Cardon et Levrel, 2009, Ostrom et Hess, 2007, Hess et Ostrom, 2003], les environnements culturels [Madison et al., 2009, Zimmermann, 2015], les ressources génétiques [Labatut et al., 2013, Thomas, 2017], etc. Ces ressources immatérielles liées aux savoirs et aux procédures, partagent des caractéristiques similaires avec les ressources communes naturelles tels que les problèmes de passager clandestin, les difficultés d’exclusion, ou encore le risque de dégradation de la ressource selon l’usage qui en est fait. Mais ces ressources ont également des propriétés uniques. Sous certains aspects, elles sont non rivales, dans la mesure où leur construction repose sur des savoirs dont l’usage par un bénéficiaire ne prive pas d’autres utilisateurs [Hess et Ostrom, 2003]. Le gouvernement de ces ressources a comme objectif davantage leur amélioration et leur extension que leur préservation [Coriat, 2015]. Leur dégradation est liée à leur non adaptation aux usages, ce qui pose la question de leur renouvellement.

Les menaces qui pèsent sur les ressources communes immatérielles se traduisent par la privatisation des savoirs, des idées et des méthodes et le remplacement de dispositifs coopératifs par des dispositifs marchands [Hess et Ostrom, 2003]. Le type de régime de propriété des communs intellectuels affecte directement la production, la distribution, l’appropriation et la consommation des savoirs et donc également leur renouvellement.

Pour caractériser un système de ressources intellectuelles, Hess et Ostrom [2003] distinguent trois composantes. Premièrement, les « artefacts » comme « représentations discrètes, observables et nommables d’une idée ou d’un ensemble d’idées » (livres, applications informatiques, marques ou logos, etc.). Les individus peuvent plus ou moins facilement être exclus de l’utilisation de ces artefacts. Deuxièmement, les « équipements », matériels ou immatériels, qui permettent la circulation des artefacts (bibliothèques, associations et réseaux, etc.). Ils intègrent généralement des règles d’attribution définissant qui sont les utilisateurs légitimes des artefacts, les règles d’utilisation de ces derniers ainsi que les outils pour le suivi et le contrôle de l’application de ces règles. Les équipements sont sujets à l’obsolescence si des investissements ne sont pas régulièrement réalisés pour leur maintenance. Ils sont aussi l’élément par lequel les menaces de privatisation opèrent. Enfin, troisièmement, les « idées », le contenu intangible de la ressource.

2.2 Les principes de conception pour analyser l’efficacité des communs

A partir des études empiriques, Ostrom [1990] s’est intéressée aux facteurs fondamentaux qui influent sur l’efficacité et la probabilité de pérennité d’une institution développée par une communauté. Ainsi, des principes de conception ont pu être formulés, offrant un cadre d’évaluation des situations d’action collective, y compris dans le cas des ressources intellectuelles [Cardon et Levrel, 2009, Stern, 2011].

Après plusieurs révisions (notamment par l’apport de Cox et al. (2009)), Ostrom résume ces principes de la façon suivante [Ostrom, 2012]:

  • (1A) les limites sont claires entre les utilisateurs légitimes et les non utilisateurs
  • (1B) les limites de la ressource commune sont claires dans un système de ressources plus large 
  • (2A) une congruence existe entre les conditions locales socio-environnementales et les règles d’appropriation et de distribution de la ressource
  • (2B) la répartition des couts de l’appropriation et de la distribution de la ressource est conforme à la répartition des bénéfices 
  • (3) les personnes concernées sont autorisées à élaborer et modifier les règles (accès aux choix collectifs) 
  • (4A) les personnes responsables devant les utilisateurs et/ou les utilisateurs eux-mêmes assurent la surveillance de la distribution de la ressource
  • (4B) elles assurent également la surveillance de l’état de la ressource
  • (5) les sanctions sont graduées en fonction de la gravité de la violation des règles et si celle-ci est répétée 
  • (6) il existe des mécanismes de résolution des conflits relativement rapides et peu couteux 
  • (7) si la ressource commune est liée à un système socio-écologique plus large, les activités de gouvernance sont organisées en plusieurs couches imbriquées 
  • (8) il existe une reconnaissance minimale des règles locales par les autorités gouvernementales externes (principe de subsidiarité).

Nous adoptons ce cadre d’analyse pour appréhender l’organisation et la gouvernance des labels des MAB, considérés comme ressources communes intellectuelles.

3. Les dispositifs des labels des MAB : une lecture par les communs

3.1 Définir les labels des MAB comme un système de ressources communes intellectuelles

Historiquement, la construction des référentiels de l’AB est l’œuvre de plusieurs communautés épistémiques locales et internationales préoccupées par les effets de la globalisation sur les modes de production et de commercialisation de l’alimentation. Les MAB ont une longue histoire [Allaire, 2016]. Ils prennent leur origine dans des mouvements sociaux et politiques impliquant de nombreux acteurs au-delà des agriculteurs (agronomes, médecins, consommateurs, etc.). S’ils se réfèrent à des doctrines différentes, ils convergent sur la critique de l’industrialisation de l’agriculture [Poméon et al., 2017, Fouilleux et Loconto, 2016]. Au-delà des débats récurrents au sein des MAB, les principes d’origine continuent de structurer le récit fondateur et l’identité qui fait la notoriété et la réputation de l’AB aujourd’hui dans le monde. Cette identité est une construction sociale et un patrimoine collectif, qui pour ceux qui s’y réfèrent et l’utilisent au travers de labels, procure un avantage économique tant que cette ressource garde sa valeur.

En s’appuyant sur les travaux de Hess et Ostrom [2007, 2003], nous considérons le système d’information et le système de connaissance que constitue un label comme des ressources communes intellectuelles (encadré 1). Les « idées » que portent les labels des MAB mobilisent des systèmes complexes de ressources cognitives : d’une part les connaissances sur les pratiques de production agricole et leurs effets, et d’autre part les valeurs liées aux quatre principes fondateurs de l’agriculture biologique selon la charte de l’IFOAM(santé[1], écologie[2], équité[3], et précaution[4]). Ces idées sont codifiées pour circuler via des « équipements » que sont d’une part les référentiels (déclinés dans des chartes et des cahiers des charges) et d’autre part les mécanismes de garantie. Ces équipements rendent disponibles les « artefacts » – logo et dénomination— aux utilisateurs qualifiés et contrôlent leur utilisation. La réputation de l’artefact, sorte de condensé des idées sous-jacentes au label, permet de vendre les produits labélisés aux consommateurs qui valorisent ces idées. L’artefact n’est pas lui-même l’objet d’un échange marchand, mais son utilisation n’est légale que si les opérateurs détiennent un certificat, exclusif et non cessible, obtenu à l’issue d’une épreuve de certification.

Encadré 1 Les labels des MAB, ressource commune intellectuelle

Les équipements d’un label sont sources de dilemmes sociaux : les référentiels offrent des marges d’interprétation, tandis que les mécanismes de garantie peuvent ouvrir la porte à des comportements opportunistes. Ces dilemmes peuvent radicalement corrompre la ressource, en particulier s’agissant de la réputation collective. En outre, il y a un risque de dégradation de la ressource lié au non-renouvellement de son contenu, notamment si les référentiels ne sont pas pensés pour évoluer dans un univers changeant, tout en maintenant la visée du label.

3.2 Les menaces sur la ressource commune

3.2.1 Nationalisation et processus de marchandisation de l’attribution des labels

Dès les années 1960, des initiatives sont apparues en opposition au modèle agricole dominant productiviste et en faveur du respect de l’environnement et d’une nouvelle qualité de vie [Poméon et al., 2017]. Ces démarches regroupent des pratiques qui visent à préserver la fertilité naturelle du sol, la qualité de l’eau et de l’air, à jouer sur la biodiversité pour permettre la résilience des écosystèmes et à pourvoir à une alimentation saine. Les transactions ont lieu dans des filières plutôt courtes, via les marchés paysans, les associations de consommateurs et/ou de producteurs, et les magasins spécialisés. Les premiers labels avec leur logo apparaissent rapidement, mais ce sont avant tout les réseaux eux-mêmes qui véhiculent l’information sur les pratiques.

Dans les années 1980, le succès grandissant des produits relevant de l’AB, implique de contrôler l’utilisation de cette appellation. La gestion par la confiance devient difficile avec l’élargissement des marchés et l’hétérogénéité croissante des participants. Plusieurs communautés à l’origine des premières initiatives ont alors poussé à une reconnaissance publique de l’AB. En France, le règlement public de l’AB apparait en 1985, et le label devient européen en 2009. Aux USA, le règlement public « Organic Foods Production Act » apparait en 1990 et le label public fédéral apparait sur les marchés en 2002.

Selon Hess et Ostrom (2003), les gouvernements qui se déclarent propriétaires de ressources communes ont besoin de moyens financiers et humains pour exclure les utilisateurs illégitimes et gérer l’appropriation et la distribution du flux d’unités de ressources. S’ensuit une complexification du régime de propriété des labels impliquant différents niveaux de gouvernement. Un des changements majeurs est lié au transfert d’une grande partie des règles de surveillance, de contrôle et de sanction vers un organisme certificateur (OC) privé, respectant des normes d’indépendance, d’impartialité, de confidentialité [5]. C’est donc un organisme indépendant de la communauté des participants qui régit le droit d’accès et d’usage de la ressource au travers de son propre plan de contrôle. Dans ce système, l’efficacité (la crédibilité de la garantie apportée) est sous-tendue par la notion de distance et donc d’impartialité, entre promoteur de la norme, entreprise auditée et OC. Le label devient également indépendant du réseau de distribution, permettant la vente des produits certifiés dans la grande distribution.

3.2.2. Processus d’exclusion et risque de non renouvellement

Le mécanisme d’attribution et de garantie encadré par le régime de CTP tend à s’imposer par « isomorphisme institutionnel »  comme seul outil pour élaborer et contrôler les labels [DiMaggio et Powell, 1983]. Or on peut penser que le monopole de la CTP représente une menace à la fois pour l’accès à la ressource commune et pour son renouvellement.

Premièrement, la CTP est payante pour l’opérateur certifié et peut s’avérer très couteuse, en particulier pour des petits producteurs dans les pays du Sud, limitant l’extension de l’agriculture biologique aux cultures d’exportation. Ce type de contrôle implique des procédures lourdes et formalistes (registres pour chaque production nécessitant des compétences appropriées, etc.). Cette bureaucratie génère un coût non négligeable pour traiter la masse d‘information mobilisée. De plus, les couts de l’audit sont en partie proportionnels au nombre de produits à labéliser pour un même producteur. Le développement de la CTP a favorisé un changement d’échelle des marchés de l’AB au détriment des systèmes de production paysanne ou artisanale diversifiés [Buck et al., 1997, Sylvander, 1997].

Deuxièmement, la CTP dans sa logique s’inscrit complètement dans le système du marché –c’est un service marchand, un outil pour le fonctionnement du marché, et a une valeur marchande. Elle suppose que les producteurs certifiés ne coopèrent pas (ou pas nécessairement) ; alors que l’agriculture biologique s’est développée en réseaux et par des pratiques de coopération. L’hégémonie de ce système, qui sépare la conception des cahiers des charges, la certification (tierce partie) et l’apprentissage réalisé au niveau des producteurs, génère des freins réels concernant le renouvellement de la ressource, c’est-à-dire la capacité à faire évoluer le référentiel au regard des apprentissages collectifs.

Les menaces qui pèsent sur le système de ressources communes que constituent les labels apparaissent donc avec l’exclusion d’une partie des usagers et le non-renouvellement de la ressource qui peut s’en suivre. Le lien perdu entre expérience des producteurs et gestion des labels devenus publics menace le renouvellement de la ressource. Toutefois, des initiatives collectives en matière de labellisation s’appuient sur un principe non marchand pour l’accès à la ressource et sur un processus inclusif pour le renouvellement de celle-ci.

3.3. La réappropriation du commun par les systèmes participatifs de garantie

Les labels alternatifs qui requièrent eux aussi des règles claires d’attribution du label et des dispositifs de garantie de la qualité associée au label, ont adopté le principe de « système participatif de garantie (SPG)[6]. Ce principe considère que les pairs (producteurs) et leur communauté (autres acteurs impliqués) sont à même d’assurer ces fonctions. L’efficacité des SPG repose en grande partie sur leur mode de gouvernance et l’entretien d’un engagement collectif.

Les acteurs des SPG entendent non seulement rendre crédible l’information contenue dans le label sur la manière de produire, mais contribuer également à un processus continu d’apprentissage collectif, grâce aux interactions entre producteurs et autres parties prenantes. L’accompagnement des producteurs est un des grands principes des SPG qui s’oppose à la règle d’independance et de neutralité de la CTP. Les SPG développent des mécanismes d’échanges de connaissances lors des visites de ferme (souvent en groupe), via des forums en ligne, etc. L’apprentissage collectif permet d’améliorer et de renouveler la norme commune qui fonde la garantie.

Il existe de plus en plus de labels locaux gérés par des dispositifs de type SPG dans le monde. La base de données d’IFOAM dénombre aujourd’hui plus de 150 SPG – reconnus officiellement ou non par IFOAM - 46 975 producteurs certifiés par leurs pairs dans 72 pays [IFOAM, 2015]. Les modalités de contrôle des SPG diffèrent selon les pays et les initiatives. Nous proposons une analyse de cette diversité sur un panorama de cinq initiatives, selon les principes de conception d’Ostrom, afin d’évaluer les conditions de leur efficacité pour gérer la ressource.

4. Méthode et données

4.1 Choix des études de cas et données

Les cinq initiatives choisies pour notre recherche figurent parmi les premiers SPG apparus dans le monde, au Nord comme au Sud, et recouvrent la diversité des dispositifs reconnus par IFOAM: Nature et Progrès en France, réseau Ecovida au Brésil, Certified Naturally Grown aux Etats-Unis, Organic Farm New Zealand, et SPG Vietnam (tableau 1). Nous avons utilisé des données provenant des sites internet des dispositifs eux-mêmes, des documents de la commission SPG d’IFOAM (Newletters sur 8 ans, divers rapports), ainsi que pour le cas de Nature et Progrès en France, des données issues de nos propres observations et entretiens réguliers avec les membres des groupes locaux et des commissions nationales entre 2014 et 2017.

Tableau 1 : Les cinq labels des MAB étudiés

Une analyse comparative est menée en utilisant la grille de lecture qu’offrent les principes de conception énoncés par Ostrom, présentés ci-dessus (2.2). L’hypothèse sous-jacente est que ces principes, considérés dans leur ensemble, permettent de repérer des défauts de gouvernance et d’évaluer l’efficacité et la robustesse des labels, considérés comme communs intellectuels.

4.2 Présentation des études de cas

Les dispositifs étudiés, ayant pour objectif de valoriser des systèmes en AB, ont émergé d’une action collective locale citoyenne pour permettre ou maintenir un accès non marchand à un système de garantie et d’attribution d’un label. Néanmoins, au Vietnam, à l’instar de nombreuses initiatives dans les pays en développement, le SPG a émergé à l’initiative d’ONGs implantées localement.

Nature et Progrès (NP) en France, créée en 1964, est l'une des plus anciennes organisations des MAB. Lorsque le label AB est devenu public et suite à l’obligation de la CTP, l’association a choisi de maintenir le label associatif en gardant son mode de garantie participatif. L’association a construit son propre référentiel avec 15 CDC reconnus par IFOAM depuis 2011. En 2016, la fédération nationale est constituée de 27 groupes départementaux rassemblant 820 professionnels sous mention. NP bénéficie d’une forte implication des consommateurs dans les groupes locaux – autant de consommateurs adhérents que de producteurs en 2016.

Le réseau Ecovida, formellement constitué en 1998, est actif dans le Sud-est du Brésil et vise à promouvoir l’agroécologie. Après d’âpres négociations entre les différents protagonistes, l’Etat brésilien a reconnu tant la CTP que les SPG pour garantir l’AB au niveau national. Ainsi Ecovida s’appuie sur le référentiel de la règlementation brésilienne de l’AB. En 2017, Ecovida incluait 2466 producteurs organisés en 300 groupes locaux et 26 groupes régionaux (« nucleo »). L’organisation régionale inclut des groupes dits d’éthique (intitulés Organismes Participatif d’Evaluation et de Conformité), en charge de l’attribution du label et intègre pour cela des membres de 10 associations de consommateurs ainsi que des partenaires de 30 ONG qui participent aux visites des fermes.

Certified Naturally Grown (CNG) aux Etats-Unis (puis au Canada) a été conçu en 2002 comme un label de l’AB par et pour des petits agriculteurs familiaux faisant de la vente en circuits courts (à la ferme, sur les marchés fermiers, à des restaurants et magasins locaux). Initialement construite en opposition au label public, cette alternative est apparue moins antagoniste qu’attendu. Le CNG est perçu par les promoteurs du label public comme un label de transition parce qu’il comprend un statut « en conversion » que ne propose pas le règlement fédéral et parce que le CNG ne labellise que la vente directe. En 2016, le programme compte 750 producteurs labellisés dans 48 Etats des USA et 4 provinces canadiennes.

Organic Farm New Zealand (OFNZ) a été créé en 2002. En Nouvelle-Zélande, il n’existe pas de label public[7] ni, par conséquent, d’obligation de CTP pour l’AB. Le SPG étudié s’est construit en réponse à une demande de consommateurs pour garantir les pratiques de petits producteurs commercialisant en circuits courts. En 2015, l’OFNZ comprenait 250 producteurs certifiés appartenant à des sous-groupes (« pod ») qui réunissent de 3 à 8 producteurs voisins, rassemblés dans 12 groupes régionaux de 10 à 50 producteurs.

Le SPG Vietnam a été créé en 2008 avec l’appui d’IFOAM PGS Working group, et par la coopération de ADDA-VNFU (Agriculture Development Denmark Asia– VietNam Farmer’s Union). Il s’appuie sur le référentiel public créé en 2008 puis adapté ensuite. L’organisation concerne plus d’une centaine de producteurs, organisés en groupes locaux constitués d’au moins 5 producteurs qui ont le même système de culture et qui possèdent moins de 5 ha et obligatoirement de membres non producteurs (consommateurs, commerçants, ONGs, etc.). Lorsque les membres d’une zone sont nombreux, il peut exister des sous-groupes de producteurs dans un groupe local, chacun désignant des représentants pour gérer le groupe et faire les inspections.

5. Facteurs d’efficacité et de robustesse des systèmes participatifs de garantie

Pour analyser la diversité institutionnelle des SPG, nous considérons, pour chaque principe de conception, les caractéristiques des cas pouvant favoriser ou contrarier l’efficacité de la gestion commune (tableau 2).

5.1 La délimitation de la ressource et des utilisateurs

Comme pour de nombreuses ressources communes intellectuelles, les limites de l’ensemble des utilisateurs et celles de la ressource sont relativement floues. D’une part, la composition du groupe d’utilisateurs (producteurs et consommateurs) peut varier d’une année sur l’autre selon le développement de l’initiative. Ses limites larges peuvent être définies en termes d’aire géographique où le label s’applique. Dans la plupart des cas, il s’agit de l’échelle nationale. Le nombre d’utilisateurs « directs » du label[8], les producteurs certifiés, dépend en partie de la durée d’existence de l’organisation : d’une centaine de producteurs dans le cas du SPG Vietnam à plus de 800 producteurs pour NP et près de 2500 pour le réseau Ecovida. D’autre part, les limites de la ressource elle-même, qui, outre ses équipements, a plusieurs aspects intangibles (notoriété, connaissances des bonnes pratiques,…) sont souvent ambiguës (plusieurs interprétations du cahier des charges, …) et parfois conflictuelles.

Les limites de la ressource, pour les labels étudiés, tiennent enfin au contexte légal. Avec la nationalisation des labels de l’AB, c’est un ensemble d’appellations relatives à l’AB qui devient propriété de l’Etat. En Europe, les préfixes et suffixes "bio", "éco" et "biologique", "écologique" relèvent de la législation sur l’« Agriculture Biologique ». Au Brésil, l’Etat a adopté le nom générique de « agricultura orgânica » pour le label public et reconnait d’autres termes comme étant équivalents : « écologique », « agroécologique », « biodynamique », « naturel », « permaculture », etc. (Lei Nº 10.831, 23/12/2003, Ministerio de Agricultura). Ces appellations sont donc règlementées de la même manière que le label public. Au Brésil, le contrôle des labels n’est pas restreint à la CTP : les agriculteurs familiaux qui font de la vente directe ne sont pas obligés d’être certifiés pour utiliser la dénomination AB s’ils appartiennent à une « organisation de contrôle social » enregistrée auprès du Ministère de l’agriculture ; les SPG sont donc reconnus officiellement comme un mode de certification de l’AB par l’agrément par le ministère de l’Agriculture des « Organismes Participatifs d’Evaluation et de Conformité » (OPAC). Aux USA, la réglementation autorise seulement les très petites fermes (moins de de 5000 $ de revenu brut par an) à utiliser le terme « biologique » sans certification tierce (néanmoins sans le logo). En Nouvelle-Zélande, l’utilisation des termes « biologique » et équivalents est règlementée par le « Fair Trading Act » qui concerne les affirmations commerciales trompeuses. En Europe, la CTP est une condition obligatoire de l’attribution du logo européen unique et de l’utilisation de la dénomination. Ainsi, NP n’a pas le droit d’utiliser l’ensemble des termes qui relèvent de la législation européenne ; récemment, NP a été menacée de pénalités par le service des fraudes pour l’usage de ces termes réservés dans des outils de communication commerciale. Un combat juridique est mené par plusieurs organisations (le syndicat des Simples, Demeter, Nature & Progrès, et BioCohérence) pour protéger leur droit intellectuel sur la ressource. Ce fait d’actualité montre les ambiguïtés qui peuvent exister sur les limites de la ressource.

5.2 Cohérence entre les règles relatives à la ressource commune et la nature de celle-ci

Ce principe est abordé ici sous deux angles : l’adaptation des règles relatives à l’utilisation de la ressource à l’environnement socioécologique et la répartition des coûts et bénéfices dans le mode de valorisation de cette ressource.

5.2.1.Congruence avec les conditions socio-environnementales locales

Selon les principes de l’IFOAM [IFOAM, 2007], les SPG doivent chercher à être adaptés spécifiquement aux communautés d’origine des parties prenantes et au contexte écologique, politique et économique. La mise en œuvre de la norme collective et la cohérence des pratiques avec les contextes locaux dépendent du fait que celle-ci soit ou non construite par les producteurs (et parfois consommateurs) locaux eux-mêmes. Dans les faits, de nombreux SPG utilisent les normes nationales comme référentiels (Ecovida, CNG), permettant un passage aisé d’un mode de certification à l’autre. Comme de nombreux SPG dans les pays en développement (PED), le SPG au Vietnam s’est initialement basé sur le référentiel national en 2008, puis a développé son propre référentiel de manière participative, qui a été reconnu par IFOAM en 2013. L’OFNZ utilise la norme privée de Biogro reconnue par IFOAM. Dans notre échantillon, seul le dispositif NP dispose réellement de ses propres CDC depuis 1972, co-construits entre producteurs et consommateurs adhérents.

5.2.2.Répartition des coûts et des bénéfices

Les SPG cherchent à minimiser les couts de labellisation, en réduisant les formulaires et le temps de travail administratif. Certains tentent de répartir les couts en fonction des bénéfices des utilisateurs. Dans NP, les frais de labellisation comprennent les frais d’enquête (fonction du nombre de produits sous mention) et un pourcentage du chiffre d’affaire (2%). Ces frais peu élevés (réduits de plus de moitié en comparaison de ceux engendrés par la CTP) permettent au groupe de prendre en charge le travail administratif salarié du niveau national et les autres dépenses de fonctionnement collectif (défraiement des transports pour les visites, communication, activité de plaidoyer, etc.). Le cout pour le producteur peut également s’évaluer en temps. Dans NP, on estime qu’une contribution minimum de deux jours et demi par an est attendue des producteurs labélisés : un pour préparer les documents et accueillir la visite, un autre pour participer à une visite d’un autre producteur et 1 demi-journée pour participer à la Commission Mixte d’Agrément et de Contrôle (COMAC) lors de la réunion qui émet un avis sur sa ferme. Dans CNG, le montant pour la certification a régulièrement été revu pour couvrir les frais de salaires suite à la forte augmentation des utilisateurs en quelques années. Néanmoins, ces couts restent 5 fois moins importants que ceux de la CTP. Dans les cas de SPG soutenus par des ONG, ce sont souvent ces dernières qui prennent en charge l’ensemble des couts de labellisation. Les producteurs doivent en revanche accorder du temps pour les formations, parfois obligatoires, et la participation au SPG.

La base volontaire est souvent une faiblesse des SPG qui ont parfois du mal à faire participer tous les producteurs –notamment dans les pays du Nord du fait des distances entre producteurs – et plus souvent à impliquer des consommateurs engagés –notamment dans les pays du Sud (entre autres du fait des temps de transport). En l’absence d’un engagement suffisant la pérennité du système est compromise.

Tableau 2 La diversité des arrangements institutionnels dans les systèmes participatifs de garantie

5.3 Accès aux choix collectifs 

Les promoteurs des SPG préconisent une structure de gouvernance de type « horizontale » [IFOAM, 2007]. L’accès aux choix collectifs renvoie également au critère de transparence dans les décisions. Ceci implique l’existence d’une documentation de base sur les objectifs du label et le fonctionnement du SPG, accessible pour tout partenaire intéressé, souvent disponible via un site internet. Dans la plupart des SPG, il existe des assemblées générales annuelles où les grandes décisions de fonctionnement sont soumises au vote. Dans NP, les membres peuvent s’impliquer aux différents niveaux de l’organisation : au-delà du groupe local, le conseil fédéral, la COMAC fédérale et les nombreuses commissions professionnelles sont autant d’endroits de décision où les représentants des groupes locaux peuvent accéder aux choix collectifs. C’est aussi le cas dans un réseau comme Ecovida et OFNZ. En revanche, dans les cas où l’initiative provient d’ONG ou associations non locales, la transmission du leadership aux membres des groupes locaux s’avère parfois délicate (manque de capacité des producteurs, faible inclination des ONG à déléguer, etc.).

5.4  La surveillance des utilisateurs

5.4.1. Sur la distribution de la ressource : modalités d’attribution des labels

L’attribution du label est caractérisée par le principe de certification participative et de contrôle par les pairs. Dans le cas de NP, le producteur fait une demande via un dossier et une lettre de motivation à la fédération. Lors de sa première demande, le producteur est audité (« audit de départ ») par des membres du sous-groupe local, avec le support de la charte et des CDC par production. A l’issue de cette visite, un comité d’approbation local, Commission Mixte d’Agrément et de Contrôle (COMAC), constitué de membres bénévoles, et en présence des auditeurs et de l’audité, émet un avis sur la conformité et l’admission au statut de conversion avant certification. Le service de gestion de la mention de la Fédération nationale donne, après cet avis, son agrément pour l’attribution de la mention (environ 6 mois entre la demande du producteur et la réponse de la Fédération). Dans le cas où le producteur a besoin d’assistance pour se mettre en conformité, des visites peuvent être programmées pour l’aider. Ce processus d’entrée dans la certification se retrouve de manière semblable dans tous les SPG. Néanmoins, dans le dispositif CNG, l’audit de départ est remplacé par une auto-évaluation en ligne et un engagement sur la charte. Dans les PED, lorsque la labellisation est à l’inititaive d’une organisation exterieure (SPG Vietnam), l’audit de départ est souvent remplacé par une formation des producteurs présentis pour entrer dans le SPG.

Pour les « audits de suivi », les SPG considèrent que le système d’évaluation par des pairs est le mieux à même de mesurer le respect des engagements, du fait que les pairs exercent une vigilance directe et indirecte sur les activités des partenaires de manière continue (par voisinage, dans les groupes). Ces systèmes diffèrent selon les initiatives (encadré 2) même si certaines caractéristiques sont récurrentes : contrôle annuel[9], en période significative de production, cycle d’inspection sans réciprocité (A visite B qui visite C qui visite A). Dans NP, le contrôle se fait par au moins deux personnes expérimentées, un binôme producteur – pour les connaissances techniques– et consommateur ­– garant de l’impartialité (figure 1, encadré 2). Les visites chez le producteur sont prévues avec ce dernier à l’avance pour qu’il prépare la visite (par exemple relevé parcellaire et factures). Dans la mesure où les fermes sont souvent très diversifiées, les audits peuvent être très longs. Il arrive que certains groupes locaux décident de n’enquêter qu’une partie des activités agricoles une année et les autres activités l’année suivante. La mention NP précise que l’ensemble de la ferme doit respecter le CDC même si la demande de label ne concerne que certains produits[10]. Enfin, lorsque des manquements à la charte sont repérés, des visites supplémentaires, annoncées ou inopinées, sont organisées chez le producteur concerné. Le dispositif Ecovida fonctionne sur un principe similaire, mais c’est parfois un technicien agricole du réseau qui intervient dans l’inspection. De nombreux SPG dans les PED font essentiellement intervenir des producteurs pour les visites (figure 2, encadré 2). Le SPG Vietnam est un peu plus élaboré et requiert l’inspection par au moins 3 membres producteurs et un membre non professionnel lors de la visite d’une ferme (mixte entre figures 1 et 2, encadré 2). Dans le dispositif d’OFNZ, des sous-groupes (« pod ») de 4 à 8 producteurs sont constitués en fonction de leur proximité, et les inspections se font avec l’ensemble des membres de ce sous-groupe sur chacune des exploitations de celui-ci. Pour éviter les risques de collusion à l’intérieur du groupe, un audit externe indépendant et aléatoire sur 25% des fermes est ajouté dans ce dispositif (figure 3, encadré 2). Dans le dispositif CNG, il est mis en place un cycle d’inspection entre producteurs d’une même zone géographique. Lorsque les producteurs sont trop éloignés, pour éviter des coûts trop importants, l’inspection peut se faire par un agent de vulgarisation ou un producteur certifié sous la mention publique mais n’appartenant pas au SPG. Pour éviter des ententes, le rapport d’inspection et le nom de l’enquêteur est ensuite mis en ligne afin que ce dernier engage publiquement sa réputation (figure 4, encadré 2). Le programme de gestion de CNG est essentiellement organisé en ligne : des e-mails de rappel sont envoyés régulièrement aux membres pour examiner les nouvelles inscriptions ou pour réaliser les inspections.

Encadré 2 : diversité des dispositifs de contrôle des labels

Dans NP, à l’issue des audits de suivi, la COMAC, en présence des enquêtés et enquêteurs, donne un avis au service national de gestion de la mention qui statue in fine si le producteur peut utiliser le label. Dans le dispositif Ecovida, c’est l’Organisme Participatif d’Evaluation et de Conformité (OPAC) constitué des agriculteurs locaux et de membres d’associations qui émet un avis. Dans le cas d’OFNZ, un coordinateur de groupe tournant annuellement rédige le rapport des visites. Celui-ci et l’avis de l’auditeur externe sont envoyés au comité de certification régional qui statut in fine sur la mention. Dans le cas de CNG, l’attribution du label se fait au niveau du groupe régional suite à l’avis de l’enquêteur. Au-delà de l’évaluation par les pairs, il est fréquent que des mécanismes de contrôle complémentaires soient mis en place. Le dispositif de SPG Vietnam compte explicitement sur des mécanismes de contrôle social (observations des voisins, plainte de consommateurs) pour compléter les contrôles organisés. OFNZ complète son fonctionnement interne par des audits externes indépendants aléatoires. S’il subsiste des doutes, chaque groupe s’engage à pouvoir financer des tests de résidus sur les produits. Dans tous les cas, la communication régulière et informelle à l’intérieur d’un groupe révèle assez aisément si un producteur adhère réellement aux valeurs du groupe et comment il s’approprie les principes dans sa manière de produire. D’après nos entretiens, il apparait moralement mais aussi en pratique plus difficile de tromper quelqu’un qui met en place les mêmes efforts pour atteindre une qualité commune, qu’un auditeur anonyme. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer que le contrôle de chacun par chacun peut faire apparaitre de sérieuses tensions intracommunautaires qui sont souvent exprimées par les adhérents des SPG mais sont inhérentes à l’action collective.

5.4.2. Sur le renouvellement de la ressource et la maintenance des équipements

Le SPG introduit des règles permettant l’amélioration continue des pratiques et donc l’enrichissement du commun par une participation directe des partenaires du réseau. Dans NP, par exemple, cet enrichissement a lieu soit par l’échange de connaissances à l’intérieur des groupes et lors des visites ; soit par la révision des CDC, mobilisant, pour chaque production, une commission professionnelle. Ce travail peut être long et nécessiter des expérimentations dans les fermes. Les propositions des commissions sont envoyées au Comité Technique Interne (CTI), composé d’adhérents consommateurs et producteurs, en charge de coordonner la révision et la cohérence des CDC. Ces derniers sont ensuite présentés au vote pour validation en conseil fédéral. La charte et les CDC sont directement le fruit d’un travail coopératif mobilisant les membres de l’organisation.Dans le SPG Vietnam, les interactions dans les groupes ont donné lieu entre 2008 et 2013 à l’émergence d’un nouveau référentiel adapté du référentiel public. Dans les autres cas étudiés, le référentiel utilisé est indépendant du SPG.

5.5 Sanctions graduées  

Dans les SPG étudiés, les sanctions sont graduelles en fonction du degré de non-conformité : déclassement de produits, avertissement, suspension transitoire en cas de non-conformité majeure ou non-respect mineur répété ; suspension de longue durée ou exclusion permanente du label en cas de fraude évidente. Des contrôles supplémentaires sont souvent programmés pour les fermes à risques. Les sanctions sont généralement transparentes à l’intérieur de la communauté. Dans NP, c’est la COMAC fédérale qui gère les sanctions[1]. Elle est composée d’un représentant du bureau de la Fédération Nationale et de représentants des COMAC locales. Par ce biais, l’ensemble des groupes locaux ont accès à l’information sur les sanctions.

5.6 Mécanisme de résolution des conflits 

Le mécanisme de résolution des conflits est un élément indispensable au bon fonctionnement des SPG. Dans NP, lorsque qu’un producteur ou un consommateur est en désaccord avec l’avis de la COMAC locale ou lorsque cette dernière n’arrive pas à se mettre d’accord sur un avis, la COMAC fédérale est consultée. Dans les dispositifs, Ecovida et OFNZ, la résolution des conflits est confiée respectivement au conseil éthique régional et au comité national. Dans les cas de SPG supportés par des ONG, c’est souvent ces dernières qui sont arbitres en dernier ressort. Dans la plupart des cas, ces mécanismes de résolution des conflits restent rapides et relativement peu couteux en comparaison du recours aux tribunaux.

5.7 Activités de gouvernance organisées en plusieurs couches imbriquées

Généralement, le groupe local coordonne les visites, gère les formations de terrain, l’administration et la communication locale. Les groupes locaux sont en relation avec une organisation de plus grande échelle qui a le rôle de coordination, de réaliser des documents d’accompagnement, d’orientation ou de plaidoyer. L’attribution du label est souvent gérée à ce niveau (Service de Gestion de la mention au niveau national pour NP, groupe régional pour Ecovida, Gestionnaire de certification dans OFNZ, service national de gestion pour CNG).

La gouvernance inclue également des strates externes au dispositif, avec, par exemple, au Brésil l’accréditation des OPAC et des SPG par le Ministère de l’Agriculture. Enfin, au niveau international, c’est la commission SPG d’IFOAM, créée en 2008, qui a vocation à promouvoir et définir les fondements des règles de fonctionnement des SPG.

5.8 Reconnaissance minimale des règles locales

IFOAM participe largement à la reconnaissance internationale des SPG dans leur diversité via une définition large résumant les principes communs de ce mode de certification adoptée en 2008 et le lancement d’un logo en 2010 pour toutes les SPG labellisés par IFOAM. Depuis quelques années, la FAO est également proactive pour soutenir cette forme de certification dans les PED comme alternative adaptée pour les petits producteurs [Loconto et al., 2016].

Par ailleurs, le nombre élevé de groupes et de producteurs dans un certain nombre de pays s’explique par la dynamique locale liée à la reconnaissance légale de ces systèmes [Fonseca et al., 2008]. Ainsi à l’instar du Brésil, pionnier dans la reconnaissance de ce système de garantie, la Bolivie, le Mexique et l’Uruguay reconnaissent le SPG comme une forme légale équivalente à d’autres systèmes de garantie. Au-delà de l’Amérique latine, le SPG est également officiellement reconnu en Inde et au Vietnam. A l’inverse, le manque de reconnaissance publique pour cette forme de certification dans de nombreux pays, fragilise les producteurs ainsi engagés : d’une part par leur exclusion de certaines aides publiques pour l’AB et d’autre part du fait de leur faible reconnaissance auprès d’acheteurs comme les collectivités publiques (cantines scolaires, administrations, etc.).  

6. Discussion sur l’analyse comparative et conclusion

Les labels des MAB sont désormais bien plus qu’un marché de niche. Ils sont connus et reconnus par de nombreux consommateurs, producteurs et citoyens. Si pour la plupart, ils sont devenus des labels publics, c’est-à-dire appartenant aux Etats, la définition des principes et idées qu’ils portent sont le fruit de l’accumulation des connaissances dans des communautés épistémiques locales et internationales. De par cette origine, mais également du fait que les labels sont ouverts et utilisés par des producteurs de manière interdépendante (dans la mesure où le comportement de chacun peut influer sur la qualité de cette ressource), nous considérons ses labels comme des systèmes de ressources communes immatérielles, à partir de l’approche développée par Ostrom.

Le passage d’un régime de propriété communautaire à l’origine de l’AB à un régime de propriété publique génère des menaces sur cette ressource, en redéfinissant qui peut bénéficier de l’appellation et qui participe au maintien et au renouvellement de la ressource. Ce changement de régime s’appuie sur l’idée que l’Etat serait plus à même de protéger cette ressource, tout en déléguant une part importante de la surveillance à des organismes privés de certification. Les fraudes qui marquent régulièrement l’actualité mettent en lumière les dysfonctionnements que ce régime peut cependant présenter. Si les négligences ne sont pas l’apanage de ce seul mode de certification, elles prouvent qu’il n’est pas non plus une panacée.

En réaction à l’hégémonie de la CTP, des producteurs ont recours à des systèmes participatifs de garantie. Dans cet article, nous avons cherché à comprendre dans quelle mesure les SPG, plus inclusifs que la CTP, peuvent apparaitre comme efficaces et robustes. Nous suggérons qu’un SPG (en tant que dispositif immatériel constitué d’un ensemble de règles et de droits) et le label qu’il entend promouvoir peuvent être analysés comme un commun : la ressource commune est gouvernée par une communauté ayant en charge sa production et sa gestion. De par un processus continu d’apprentissage, les participants d’un SPG contribuent également au renouvellement de la ressource. Le cadre conceptuel proposé par Ostrom et Hess [2007] pour les communs intellectuels permet de nouvelles perspectives pour comprendre la gestion des ressources partagées que sont les labels gérés par des SPG.

Dans notre analyse comparative sur 5 labels du MAB reposant sur des SPG, nous montrons que leur marge d’existence est liée aux variations des législations nationales régissant l’AB. De ce point de vue, les contextes étudiés sont variés. Toutefois, en Europe particulièrement, le contrôle public et privé (via les OC) apparait comme une limite des initiatives collectives. Par ailleurs, la ressource commune de chacun des labels participatifs ne se limite pas à la réputation et à l’avantage économique qu’elle offre aux producteurs enrôlés, mais tient aussi aux connaissances qui circulent et se renouvellent par la participation des différentes parties prenantes. Ces labels dans leur ensemble participent également au renouvellement de la ressource commune globale pour le MAB, en étant une voie de l’expression des producteurs et de communication de leur expérience locale. Les échanges entre producteurs sont donc un point fort des SPG, toutefois ils n’en ont pas le monopole lorsqu’existent des réseaux professionnels autour de l’AB, comme en Europe. En revanche, dans les pays du Sud, les SPG constituent une forme originale d’organisation paysanne. Les coûts monétaires de la certification par SPG sont par ailleurs nettement inférieurs à ceux de la CTP. Les producteurs et autres parties prenantes doivent en contrepartie consacrer bénévolement du temps au fonctionnement du système, ce qui suppose de leur part engagement et responsabilité. Enfin, les modalités d’attribution et de contrôle des labels sont variées. Il s’agit d’assurer la crédibilité du système de garantie qui reste une fonction essentielle des SPG. L’analyse a montré que ces systèmes sont relativement bien conçus pour limiter le phénomène de passager clandestin.

Les principes de conception, habituellement considérés comme critères de bon fonctionnement et favorisant le succès des communs sont donc relativement bien respectés dans les cas étudiés. La croissance des différents systèmes étudiés et du nombre de SPG dans le monde suggère également une certaine efficacité.

Néanmoins, nous recensons également un certain nombre de faiblesses récurrentes qui pourraient fragiliser ces organisations, menaçant la pérennité de l’expérience collective: l’importance de la participation bénévole pour le fonctionnement des systèmes; dans certains cas le manque d’accès aux choix collectifs ; enfin les tensions régulières propres à toute gestion collective et communautaire. Mais la faiblesse majeure que semblent rencontrer certains SPG pour leur développement réside dans l’absence de reconnaissance légale dans différents pays. Ces formes existent depuis longtemps mais ne sont reconnues légalement que par très peu d’Etats. Cette reconnaissance permet notamment à ces labels d’élargir leurs débouchés auprès de magasins spécialisés ou de collectivités publiques, ou parfois d’accéder aux aides publiques liées à l’AB.

Les SPG pourraient être perçus comme des dispositifs alternatifs et complémentaires de contrôle dans la mise en œuvre de labels, permettant d’éviter l’éviction d’une grande partie de la communauté d’origine et un meilleur renouvellement de la ressource commune. Mais la reconquête de ces communs nécessite une reconnaissance légale de leur légitimité et crédibilité, et donc un changement dans les croyances et représentions économiques véhiculées dans de nombreuses arènes nationales et transnationales de normalisation.


[1] A titre d’exemple, en 2017, sur 850 visites de fermes, il y a eu 8 déclassements de produits liés entre-autre à un manque de garantie sur un intrant/ingrédient utilisé, 7 avertissements liés entre-autre à un manque d’amélioration répété, 1 suspension temporaire pour non-conformité majeure (traitement non autorisé) et 2 retraits définitifs (une ferme arrivée au bout des 5 années de tolérance de la mixité sans avoir résolu celle-ci et une ferme pour un manque d’amélioration obligatoire répété).

[1] Selon la Fédération Internationale des Mouvements de l’Agriculture Biologique (IFOAM), créée en 1972 et ayant pour rôle de définir et promouvoir l'agriculture biologique: "Organic Agriculture is a production system that sustains the health of soils, ecosystems and people. It relies on ecological processes, biodiversity and cycles adapted to local conditions, rather than the use of inputs with adverse effects."

[1] « L’agriculture biologique devrait soutenir et améliorer la santé des sols, des plantes, des animaux, des hommes et de la planète, comme étant une et indivisible ». (IFOAM, 2005)

[2] « L’agriculture biologique devrait être basée sur les cycles et les systèmes écologiques vivants, s’accorder avec eux, les imiter et les aider à se maintenir. » (IFOAM, 2005)

[3] « L’agriculture biologique devrait se construire sur des relations qui assurent l’équité par rapport à l’environnement commun et aux opportunités de la vie. »(IFOAM, 2005)

[4] « L’agriculture Biologique devrait être conduite de manière prudente et responsable afin de protéger la santé et le bien-être des générations actuelles et futures ainsi que l’environnement ».(IFOAM, 2005)

[5] En France les OC sont accrédités par la COFRAC selon la norme EN NF 45011 et agréés par l’INAO qui gère le label AB au niveau national.

[6] Ils sont regroupés sous la définition de « systèmes d’assurance qualité ancrés localement. Ils certifient les producteurs sur la base d’une participation active des acteurs concernés et sont construits sur une base de confiance, de réseaux et d’échanges de connaissances» (IFOAM 2008).

[7] Le label AB le plus répandu en Nouvelle-Zélande est le label Biogro qui appartient à l’association Soil & Health Association, créé en 1941. Tel un OC, l’association est accréditée par l’Etat pour certifier les pratiques des producteurs. De ce fait, le label est reconnu au niveau international.

[8] Les consommateurs et distributeurs peuvent être considérés comme des utilisateurs indirects.

[9] Dans NP, il a lieu tous les deux ans pour les producteurs également certifiés par un OC pour le label public AB. Plus de la moitié des producteurs sont également sous mention publique AB car elle est la seule à permettre de recevoir des aides pour la conversion et le maintien en AB, et qu’elle est parfois obligatoire pour accéder à certains réseaux de commercialisation (magasins spécialisés, foires, etc.).

[10] A l’inverse, le label public européen oblige le contrôle de toutes les activités à certifier annuellement mais permet la mixité dans les exploitations (seule la partie certifiée est tenue de respecter le cahier des charges).


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